Au cœur des ajustements et perspectives
Malgré un contexte institutionnel marqué par le retrait de trois de ses membres, la CEDEAO démontre, à travers la diversité et le rythme de ses activités récentes, sa capacité d’adaptation et sa résilience. Les efforts en cours, qu’il s’agisse de la gestion des implications du retrait, de la planification de son avenir à la suite du Jubilé d’Or, ou des initiatives dans les domaines de la sécurité, de l’économie, de l’agriculture, de la gestion des ressources, de la gouvernance numérique et de la coopération continentale, reflètent une volonté constante de servir les intérêts de ses populations et de renforcer l’intégration régionale.
La première session ordinaire de l’année 2025 du Parlement de la CEDEAO, tenue à Abuja du 20 au 31 mai 2025, a servi de cadre à une partie importante de ces discussions. Le Président de la Commission de la CEDEAO, Omar Alieu TOURAY, a explicitement situé cette session dans un double contexte majeur : le retrait complet du Burkina Faso, du Mali et du Niger et la célébration du 50e anniversaire de la Communauté.
Une préoccupation centrale exprimée par le Président de la Commission est de garantir que cette séparation « ne doit pas se faire au détriment des citoyens de la communauté ». Parallèlement, des consultations directes se sont tenues à Bamako entre l’Alliance des États du Sahel (AES) et la CEDEAO, portant sur des « questions importantes » post-retrait. Les deux parties ont exprimé une « préoccupation commune sur la situation sécuritaire » et ont convenues de l’urgence de travailler à créer les conditions nécessaires à une coopération efficace dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Malgré le retrait, la volonté de privilégier l’intérêt supérieur des populations ouest-africaines en sauvegardant les acquis de l’intégration, comme la libre circulation des personnes et des biens, a été réaffirmée en attendant de nouveaux accords. Les premières consultations directes ont été saluées pour leur « esprit de fraternité et de responsabilité ».
Le Jubilé d’Or de la CEDEAO est perçu comme un « moment de réflexion et d’introspection » sur les réalisations et les perspectives de l’institution. Pour marquer cet anniversaire, un sommet sur l’avenir de l’Afrique de l’Ouest sera organisé prochainement afin que les États membres conviennent d’un accord sur l’avenir de la Communauté. Ce sommet sera précédé d’une série de discussions impliquant diverses parties prenantes. Le Parlement de la CEDEAO fêtera quant à lui ses 25 ans le 16 novembre 2025.
Face à la montée inquiétante du terrorisme et à une vague de violences persistante, la CEDEAO accélère les plans pour créer une force régionale anti-terroriste. Plusieurs États membres ont manifesté leur volonté de contribuer militairement. Une réunion cruciale des ministres des Finances et de la Défense est prévue avant la mi-juin 2025 pour aborder le financement de cette force. L’objectif de cette force est de garantir la sécurité des citoyens . Le Président de la Commission a souligné que même avec le retrait des pays de l’AES, il est nécessaire de trouver une voie pour collaborer sur la sécurité régionale, reconnaissant que Le manque d’unité rend difficile toute action collective contre l’insécurité.
Sur le front de l’intégration économique et du développement durable, la CEDEAO poursuit des initiatives concrètes. Un camp régional de formation des formateurs sur le Commerce Informel Transfrontalier (ICBT) s’est déroulé à Accra, Ghana, du 22 au 25 avril 2025. L’objectif était d’équiper les participants (issus de 12 États membres, des Commissions de la CEDEAO/UEMOA et de partenaires) pour harmoniser la collecte et le traitement de données sur l’ICBT et soutenir la mise en place de bureaux ICBT régionaux. Des données fiables sur l’ICBT sont jugées « indispensables pour l’élaboration de politiques inclusives et l’intégration économique régionale », contribuant aux flux commerciaux intra-régionaux et orientant les politiques dans le cadre de la ZLECAf. L’ICBT est reconnu comme un véritable moteur de nombreuses économies locales et une source majeure de subsistance pour les femmes et les jeunes. Il est crucial que aucun commerçant ne doit être laissé pour compte dans l’agenda commercial continental.
La CEDEAO a également participé à la 7ème édition du Salon International de l’Agriculture et des Ressources Animales à Abidjan, Côte d’Ivoire. Sous le thème « Piloter l’agenda de la souveraineté alimentaire en Afrique de l’Ouest : 20 ans de mise en œuvre de l’ECOWAP », la CEDEAO a réaffirmé sa « volonté politique forte d’accompagner les États membres dans la transformation durable de leurs systèmes agricoles et alimentaires ». Cette participation visait à accroître la visibilité de la CEDEAO, à sensibiliser sur ses politiques agricoles et à promouvoir les initiatives régionales pour la sécurité alimentaire et nutritionnelle, tout en faisant le bilan des 20 ans de mise en œuvre de l’ECOWAP.
En lien avec la modernisation du secteur agricole, un atelier régional s’est tenu à Lomé, Togo, du 19 au 22 mai 2025 pour réviser les normes agricoles de six produits clés (riz, maïs, tomates, haricots secs, manioc frais, arachides). Organisé par les Directions de l’Industrie et de l’Agriculture, avec le soutien du Programme de Résilience du Système Alimentaire en Afrique de l’Ouest (FSRP) financé par la Banque mondiale. Cette révision s’inscrit dans le cadre de ECOQUAL et ECOWAP, visant à améliorer la qualité, protéger les consommateurs et renforcer le commerce régional. Comme l’a souligné M. Lassane Kaboré, Directeur de l’Industrie, « Mettre à jour nos normes agricoles, c’est moderniser notre agriculture, protéger nos consommateurs et soutenir l’intégration régionale ». Les projets de normes révisées passeront par une consultation nationale avant adoption.
L’investissement dans le capital humain, en particulier la jeunesse et les femmes, reste une priorité. La Commission de la CEDEAO a intégré 98 jeunes professionnels issus de 12 États membres dans le cadre de son Programme des Jeunes Professionnels (PJP). Ils sont considérés comme un « moteur essentiel de l’intégration », des « bâtisseurs de demain » et des « ambassadeurs de l’intégration ouest-africaine ». Le PJP vise à attirer des « talents dynamiques et motivés », à injecter des « idées nouvelles et des compétences innovantes » et à constituer un « vivier durable de professionnels engagés ». Cette initiative s’inscrit dans la vision 2050 de la CEDEAO de passer d’une « CEDEAO des États » à une « CEDEAO des Peuples ».
Le Centre pour le Développement du Genre (CCDG) de la CEDEAO a organisé une rencontre annuelle d’information et de partage avec ses points focaux genre à Saly – Mbour, Sénégal, du 15 au 17 mai 2025. L’objectif principal était de « renforcer le rôle et la performance des Points Focaux du CCDG » dans la mise en œuvre des programmes dans les États membres. La rencontre a fait le bilan des avancées et défini des orientations basées sur les « sept (7) axes prioritaires d’intervention de son plan stratégique 2023 – 2027 ». Des sessions sur l’écosystème digital du CCDG, les outils de suivi-évaluation (ECOGO, ECOGEB) et l’économie des soins ont eu lieu. Le CCDG prévoit de « s’appuyer sur ses succès passés, renforcer son cadre collaboratif orienté vers une gestion axée sur les résultats et maintenir ses Points Focaux au cœur de sa stratégie » pour impulser un « changement durable dans la région ». Les efforts se poursuivent également dans la lutte contre la fistule obstétricale, avec la troisième réunion du Comité Régional de Coordination du programme dédié tenue à Abidjan, Côte d’Ivoire, du 21 au 23 mai 2025. Cette réunion a permis d’évaluer la mise en œuvre des projets financés en 2023 (dans 8 États membres) et de valider les propositions de projets pour 2025 (pour la Guinée, le Sénégal et la Sierra Leone). L’événement coïncidait avec la Journée Internationale pour l’élimination de la Fistule Obstétricale, célébrée par un webinaire conjoint avec l’UNFPA.
En matière de gouvernance et de gestion des ressources, la CEDEAO renforce ses mécanismes. Un partenariat quinquennal a été signé le 19 mai 2025 à Accra, Ghana, entre la CEDEAO (via le Centre de Gestion des Ressources en Eau – CGRE) et l’Institut International de Gestion de l’Eau (IWMI). Cet accord vise à renforcer la sécurité de l’eau et la gouvernance des ressources en eau transfrontalières, incluant le développement d’outils numériques pour la prévision des sécheresses et inondations. Ce partenariat est aligné sur le plan stratégique du CGRE et la Politique des Ressources en Eau de l’Afrique de l’Ouest. Au Bénin, une consultation s’est tenue à Grand-Popo les 17 et 18 avril 2025 entre la Représentation de la CEDEAO et le gouvernement béninois pour cartographier plus de 50 projets et programmes en cours ou achevés en 2024. L’objectif était d’identifier les défis et de formuler des recommandations pour l’instauration d’un mécanisme de coordination, de suivi et d’évaluation des projets de la CEDEAO dans le pays. Cette initiative, caractérisée par une « approche participative » et un « ancrage institutionnel fort », est considérée comme un « tournant stratégique pour le Bénin » et un potentiel « modèle concret et duplicable dans les autres États membres ».
La cyberdiplomatie est également au cœur des préoccupations. Une session de haut niveau pour le Comité des représentants permanents (COREP) de la CEDEAO s’est tenue le 20 mai 2025 à Abuja, avec le soutien de l’UE et de l’Allemagne. La cyberdiplomatie est jugée non plus une option mais une « nécessité » pour défendre la souveraineté numérique et renforcer la confiance. L’ambition est que l’Afrique de l’Ouest puisse s’exprimer « d’une seule voix » et passer du statut d’ « observateur à acteur » dans le cyberespace mondial. L’Ambassadeur Musa Sani Nuhu, Président du COREP, a insisté : « L’Afrique doit être présente dans les espaces où les règles mondiales sont définies — pas comme observatrice, mais comme actrice. La CEDEAO a la légitimité, la volonté politique et la voix collective pour agir ensemble ». La session a abordé les réformes juridiques nationales, la collaboration inter-agences, la gestion des risques numériques, la mise en œuvre de la Directive sur la cybersécurité de décembre 2023, et l’engagement dans les processus multilatéraux (OEWG UN, Pacte Numérique Mondial). La CEDEAO se positionne ainsi comme un acteur « crédible et visionnaire dans la gouvernance numérique mondiale ».
Enfin, la coopération avec les partenaires continentaux est renforcée. La deuxième réunion consultative conjointe entre le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine (CPS de l’UA) et le Conseil de médiation et de sécurité de la CEDEAO (CMS) s’est tenue au niveau des ambassadeurs le 16 mai 2025 à Addis-Abeba. Cette rencontre, qui s’inscrit dans le cadre de l’Architecture africaine de paix et de sécurité (AAPS) et de la Feuille de route pour faire taire les armes, a souligné la nécessité d’intensifier la coopération face aux défis croissants tels que les changements anticonstitutionnels, le terrorisme, la criminalité organisée et les crises humanitaires. L’importance de la gouvernance inclusive et réactive, de la solidarité régionale et de l’ implication pleine et entière des jeunes et des femmes a été fortement soulignée. Les deux organisations se sont engagées à renforcer leur partenariat en utilisant la diplomatie préventive, la médiation et des opérations conjointes de soutien à la paix, basées sur les principes de subsidiarité, de complémentarité et d’avantage comparatif.
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